« On ne sait jamais quand une histoire commence. Je veux dire que lorsqu’une histoire commence et que cette histoire vous arrive à vous, vous ne savez pas, au moment où elle commence, qu’elle commence. Je veux dire… Je veux dire que vous n’êtes pas là, à marcher, tranquillement dans la rue et tout à coup, vous vous dites: tiens, voilà une histoire qui commence. Je veux dire, on ne le sait pas…puis, lorsqu’on réalise qu’on est embarqué dans une histoire, on ne sait pas comment ça va se terminer. Personne ne peut savoir. «
Ce livre est extrêmement touchant. Mais j’avoue avoir été surprise qu’il soit classé en jeunesse! Le sujet est dur, et la manière dont il est abordé, sans fioritures ni censure, m’a mis mal à l’aise quand je m’imaginais qu’il pouvait être lus par des enfants.
« Plein de mots, plein de phrases dans la bouche pour couvrir la tempête de mon cerveau, de ma conscience, de mon esprit, mon âme ou peu importe quoi d’autre qui est à l’intérieur, car quelque chose dans ma tête murmure très bas, très très bas, des mots violents, et malgré tout le bruit de l’autobus et de ma colère et le grincement de mes dents, malgré le vent et la neige et la tempête et la rage, je les entends ces mots, venus de la nuit du temps : « Ma mère meurt, elle meurt, la salope, et elle ne me fera plus chier ! » Si j’avais un flingue, je me logerais une balle pour calmer la dispersion. Une vague immense me prend de l’intérieur et m’emporte et me fracasse contre les récifs de ma douleur. Elle jette mon cœur sur le plancher noir de l’autobus «
Le jeune Wahab, 19 ans, est appelé en pleine nuit pour aller au chevet de sa mère mourante. Le parcours dans la neige jusqu’à l’hôpital va provoquer un cheminement et une introspection qui lui permettront de faire le point sur cette relation particulière qu’il a avec sa mère. Cette femme qu’il rejette, qu’il ne reconnait plus à la manière d’un psychotique qui voit les personnes qui l’entourent devenir autre.
« Un jour, ma mère s’est mise à avoir un autre visage. C’est peut-être ça le début de mon histoire. Le jour de mon quatorzième anniversaire, ma mère s’est retrouvé avec un visage tout autre. Je veux dire du tout au tout. Et personne ne s’en est étonné. Et personne ne m’a rien dit. Alors j’ai fugué. »
Le discours est ponctué de réminiscence de la guerre, des images traumatiques sont réveillées par l’événement difficile à venir.
Sa réflexion va perdurer dans la salle d’attente puis au chevet de sa mère. L’auteur a un style simple qui renvoie à la figure la cruauté des images à la manière d’un photographe de guerre où il n’est nul besoin de commentaire.
Ce cheminement va permettre au héros de se découvrir dans la relation à sa mère, de faire le deuil de ses démons et renaitre à la vie.
« Je regarde le ventre de ma mère, son ventre qui s’étire et se détend pour les toutes dernières fois de sa courte existence. Je regarde son ventre. Il n’y a pas si longtemps, j’y étais. Elle m’a porté et a accouché de moi en poussant les mêmes cris que son agonie arrache de ses entrailles, et parce que j’ai connu ses entrailles, pour un instant, je deviens frère de l’agonie. Je la vois mourir. Je vois son ventre mourir. Plus rien ne peut m’y faire entrer à nouveau, m’y faire retourner. L’histoire est désormais ancienne. J’ai le sentiment qu’en assistant à sa mort, j’assiste aussi à ma propre naissance. »
Wajdi MOUAWAD - Un obus dans le cœur 2007 - Actes Sud Junior - ISBN 9782742770045